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Les laveries collectives comme un moyen de lutte contre la pollution de l’eau agricole et de création d’une source d’eau supplémentaire dans le milieu rural oasien : cas de la laverie de Tabesbaste

Terrain de l’innovation

Maroc/Localité de Tabesbaste, Commune rurale de Taghzout N’Ait Atta, Province de Tinghir, Région Draa-Tafilelt

Résumé

Les oasis de Draa-Tafilelt souffrent d’une pénurie d’eau croissante et d’une dégradation alarmante de la qualité des ressources en eau particulièrement celles destinées à l’irrigation.

Face à cette situation, des initiatives locales ont émergées dans le but de conserver le patrimoine oasien via la protection qualitative de l’eau d’irrigation et l’exploitation des eaux non conventionnelles. L’exemple le plus pertinent est celui de Tabesbaste (Figure 1). Il s’agit d’un projet de laverie collective qui a comme objectif de substituer les lavoirs traditionnels placés directement sur l’oued Toudgha ou les seguias (canaux d’irrigation) et qui causent la pollution chimique des eaux d’arrosage.

La laverie de Tabesbaste est dotée également d’un mini système d’épuration dont l’eau épurée est réutilisée pour irriguer une parcelle avoisinante par épandage souterrain.

Emergence de l’innovation

Au niveau de Tabesbaste la gestion de l’irrigation (par tour d’eau) et des sources d’eau est confiée à l’Association Tabesbaste pour le Développement et la Solidarité.

En 2016, cette association a réalisé un projet de laverie collective initié et encadré par l’association l’Eau Du Désert qui s’intéresse à la sauvegarde des oasis et des Khettaras aux zones présahariennes marocaines. Ce projet était en collaboration avec les associations locales de plusieurs oasis et d’autres partenaires étatiques.

En effet, l’association de Tabesbaste cherchait depuis plusieurs années une solution au problème de pollution des sols et des eaux d’irrigation de l’oasis causée par des produits chimiques (lessive chimique et eau de javel) issus de la lessive dans le lavoir traditionnel se trouvant sur la seguia du douar, ainsi que les odeurs nauséabondes émanant de l’aval de cette seguia. Cette situation persiste toujours dans plusieurs douars de la vallée (Figure 2).

En fait, le problème de la pollution chimique des cours d’eau par les lavoirs ne se posait pas auparavant, car les gens utilisaient des pratiques ancestrales pour laver leur linge de manière naturelle et souvent avec des lessives faites maison. Avec l’évolution du niveau de vie des villageois, l’usage de la lessive chimique, élaborée à partir de résidus pétrochimiques non-biodégradables et qui se compose de tensio-actifs dont la plupart sont toxiques pour l’homme et l’environnement, est devenu le plus dominant. Le recours à la lessive « écologique » reste encore très modeste du fait du manque de sensibilisation et d’engagement des familles vu que ces lessives sont plus chères que celles classiques. A noter que les lessives sont toujours plus ou moins polluantes, surtout en cas de rejet concentré (lavoirs collectifs), et donc un traitement préliminaire est toujours indispensable avant la décharge dans le milieu naturel.

Solution(s) apportée(s) par l’innovation

Comme il a été expliqué précédemment, la lessive chimique pose un véritable problème environnemental. Tout au long de la vallée de Toudgha, on compte des dizaines de villages de population plus ou moins importante (jusqu’à 5 000 EH dans certains villages d’après le recensement de 2014). Le nombre de lavages peut atteindre les 150 lavages par semaine et par douar, ce qui représente approximativement 8 tonnes de lessive et 4 000 litres d’eau de javel par an et par douar, déversés dans l’eau d’irrigation (estimation basée sur des ratios de consommation de 1 kg de lessive/lavage et 0,5 litre d’eau de javel/lavage).

Le projet de Tabesbaste est considéré comme un projet écologique complet, puisqu’il intègre un système d’assainissement autonome qui assure les trois fonctions de collecte, de traitement et de réutilisation (Figure 3 & Figure 4):

  • Les eaux grises collectées des dix machines à laver de la laverie sont acheminées vers un filtre à paille qui assure un prétraitement de l’effluent ;
  • Le filtre à paille est placé dans un regard d’alternance mené de deux vannes manuelles qui assurent l’alimentation alternée des filtres ;
  • Les eaux sont ensuite acheminées vers deux filtres verticaux étanches, plantés de Papyrus Cyperus, fonctionnant alternativement ;
  • L’effluent est finalement réparti dans une parcelle d’infiltration à proximité de la laverie par l’intermédiaire de quatre tranchées horizontales enterrées. Cette parcelle est plantée de plantes fourragères qui servent d’aliment de bétail et assurent aussi une finition de la phyto-épuration initiée au niveau des filtres verticaux.

Lors de notre visite, le 16 juin 2021, aucune odeur n’a été ressentie. Ainsi, visuellement la turbidité de l’effluent en sortie (regard de visite extérieur à l’enceinte, placé entre le filtre vertical et la parcelle) montre que le traitement permet une meilleure élimination des matières en suspension (Figure 5 & Figure 6).
Depuis la mise en œuvre de la laverie de Tabesbaste, elle a permis de maintenir une agriculture durable dans la localité : une dépollution progressive des eaux d’irrigation et des sols a été remarquée par les habitants de Tabesbaste peu de temps après la mise en service de la laverie. Ainsi, il a eu une diminution de la moitié du volume d’eau potable consommé dans le village pour le lavage des vêtements à la maison.

Historique d’évolution depuis l’émergence

Depuis 2012, plusieurs projets de laveries similaires à celui de Tabesbaste ont été initiés dans quelques douars de la région (Izilf, Taltfraout, Laâchouria), d’autres sont projetés.

Depuis la mise en service de la laverie en 2016 et l’installation du système d’épuration des eaux grises, la contrainte majeure était l’inadaptabilité des cultures utilisées au niveau des filtres plantés.

Après usage de plusieurs espèces végétales, et grâce au retour d’expérience acquis par d’autres projets similaires dans la région, il s’est avéré que Papyrus Cyperus est l’espèce la moins sensible aux conditions de la zone et au niveau de toxicité des eaux à traiter, et c’est cette plante qu’est utilisée actuellement au niveau de la laverie (Figure 7).

Avis des usagers / éléments d’acceptation de l’innovation

Le projet de Tabesbaste reconnaît une grande acceptabilité par les habitants et même par les établissements touristiques de la zone, vu qu’il offre un service unique avec un meilleur rapport prix/qualité.

D’un autre côté, il faut rappeler que ce projet est principalement basé sur l’encouragement de la participation féminine dans la gestion et la génération de revenus. Le projet est actuellement géré par des femmes et il joue, en plus de son rôle principal, le rôle d’un lieu de rassemblement et d’échange pour les femmes du village.

D’après les témoignages des gens rencontrés lors de nos enquêtes, le projet a permis également de remédier au problème de pollution relevé au départ et de réduire la consommation d’eau.

Eléments d’appréciation économique de l’innovation

Les principaux éléments d’appréciation économique de l’innovation sont :

  • La création d’emplois : la mise en place de la laverie a permis la création de deux emplois féminins stables et des emplois occasionnels (transports, maintenance des machines, …).
  • La génération d’un revenu à l’association pour financer ces activités de développement des capacités des femmes locales.
  • L’amélioration de la santé et l’épanouissement des femmes du douar : toutes les femmes du village ramènent leurs lavages à la laverie, moyennant un prix symbolique de 10 DH pour 10 Kg. En plus des vêtements, la laverie propose également le lavage des couvertures. Avec l’abandon des lavages sur les séguias, les femmes sont soulagées de la pénibilité de ce travail et les risques de maladies dus à la fatigue et/ou aux allergies ont diminués.
  • L’amélioration de l’environnement du douar contribue dans son attractivité et crée un environnement favorable pour le développement de l’écotourisme.

Conditions de diffusion de l’innovation et de réplicabilité

Le concept des laveries collectives fonctionnera bien à l’échelle rurale, plus précisément dans les zones qui souffrent d’un manque en ressources en eau, et où on rencontre une population importante.
Cette innovation permet non seulement de protéger les ressources en eau de la dégradation mais aussi d’assurer une eau, qui après traitement, peut-être destinée à une réutilisation restrictive (arbres et cultures consommées cuisson).

La solution de phyto-épuration semble être adéquate pour les petites unités (laveries et établissements touristiques) situées dans des zones où la nappe se trouve à de faibles profondeurs du fait que l’infiltration en profondeur n’est pas préconisée. Mais cette technique présente bien évidemment des limites qui réduisent le rendement du système dont les principales sont (i) l’absence d’études bien élaborées au niveau national qui font l’inventaire des plantes performantes adaptées au milieu oasien et présaharien, (ii) des pertes d’eau importantes à cause de la demande climatique élevée dans les zones arides, ce qui est contraignant à la reuse (iii) et finalement des charges d’entretien importantes pour remédier aux problème de colmatage des filtres et du renouvellement des plantes (ces charges sont encore plus élevées s’il s’agit de traitement des eaux de vannes ou/et si le nombre d’équivalent habitant desservi est important).

Pour réutiliser les eaux usées, des ouvrages plus performants permettant d’atteindre un niveau de traitement plus élevé tel que les réacteurs anaérobies (RAC, RAFADE, UASB, filtre anaérobie, filtre à sable, etc) s’imposent, la phyto-épuration peut se présenter comme un traitement tertiaire.

L’évaluation des appréhensions des habitants de la vallée de Toudgha vis-à-vis de l’assainissement a montré un manque de connaissances relatives à la réutilisation des eaux épurées. Ainsi, avant la mise en place de tout projet de réutilisation, l’organisation des réunions et des formations afin d’apaiser les craintes sur les risques et d’informer davantage les habitants sur l’épuration des eaux usées et les pratiques de valorisation des rejets se révèle nécessaire.

Le projet pilote de Tabesbaste et le mode de préservation de la ressource au niveau de cette localité peut servir de modèle pour s’inspirer et reproduire des expériences d’épuration et de réutilisation pareilles à petite échelle et motivées par la propre initiative de la population.

Risques associés, externalités négatives

Les risques associés au projet de la laverie, et qui pourraient entraver le projet, peuvent être résumés comme suit :

  • La mise en œuvre d’une laverie collective doit prendre en considération dans un premier lieu l’acceptation du concept par les habitants.
  • Les gérantes de la laverie et les bénévoles de l’association doivent être formés pour pouvoir assurer une meilleure gestion et entretien du système d’épuration.
  • Pour assurer la pérennité du projet, il faut adapter les tarifs pour prendre en considération la faiblesse des moyens financiers des villageois.

Ressources additionnelles

Hajar TAOUILE & Khalid AZARHOUN, Mémoire de fin d’étude « Identification de sites de collecte, de traitement et de réutilisation des eaux usées et conception d’un projet pilote adapté aux zones oasiennes », Département de génie rural, Institut Agronomique et Vétérinaire HASSAN II, 2021

Aquatiris. (2015). Système d’assainissement des eaux usées de la laverie de Ksar Izilf – Étude réalisée par Thibaut Demaegdt, Bureau d’étude en assainissement spécialisé en phyto-épuration, membre du réseau Aquatiris.

Association L’Eau Du Désert : https://leaududesert.herokuapp.com

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