Technique / technologique

Méthode de stockage d’eau de pluies et d’irrigation mitigeant la propagation de moustiques

Terrain de l’innovation

Espagne (Catalogne)

Résumé

Les citernes de stockage d’eau de pluies sont un facteur important dans la propagation de moustiques, vecteurs de maladies infectieuses. L’introduction de certains types de poissons dans ces citernes permet de lutter contre leur prolifération.

Si ces citernes sont utilisées conjointement pour l’irrigation, les poissons sont un atout pour la fertilisation des plantes, leurs déjections riches en azote se mélangent naturellement à l’eau, réduisant les besoins en fertilisant de synthèse.

Le problème sanitaire posé par les moustiques est transformé en solution de fertilisation à faible coût.
Selon leur variété, les poissons peuvent également être exploités pour l’alimentation humaine ou animale.

Emergence de l’innovation

Les moustiques « Tigre » (aedes albopictus) originaires d’Asie sont aujourd’hui considérés comme l’une des espèces les plus invasives. Depuis les années 1960 ils ont envahis l’Europe, les Amériques, les Caraïbes, l’Afrique et le Moyen Orient. Ils sont un vecteur important de transmission de pathogènes comme la fièvre jaune, la dengue et la chikungunya.

Dans le cadre de l’élaboration d’un jardin potager (surface d’environ 400m2) nous avons installé un système de récupération des eaux de pluies, associé à une cuve enterrée d’une capacité d’environ 40 000 litres et destinée à l’irrigation d’arbres fruitiers et de diverses cultures annuelles.

Cette cuve est vite devenue un lieu de prolifération de moustiques. Plusieurs solutions ont été essayées pour en limiter le nombre :

  • Installation d’un filtre en maille sur l’arrivée d’eau de pluie (abandonné car trop souvent bouché par les feuilles et autres débris végétaux provenant du toit)
  • Ajout d’une fine couche d’huile végétale à la surface de l’eau pour empêcher les moustiques de pondre leurs larves (inefficace, l’huile s’infiltre dans les parois)
  • Ajout de petites quantités de chlore dans l’eau pour tenter de tuer les larves (difficile à doser correctement, risque de contamination pour les plantes)

C’est finalement en recherchant des informations sur les stratégies employées pour limiter la prolifération des épidémies que nous sommes tombés sur l’idée d’introduire des poissons. En effet cette technique a été employée avec succès contre la malaria en Amérique du sud et en Russie sur les côtes de la mer noire.

Solution(s) apportée(s) par l’innovation

Au bout de quelques mois la situation s’est nettement améliorée. Alors qu’initialement un gros nuage de moustiques s’échappait lors de l’ouverture de la trappe de la cuve, maintenant il n’en sort que quelques-uns et souvent aucun.

La citerne étant située juste à côté de la maison, proche d’un lieu de passage fréquent, il est désormais beaucoup plus agréable de passer du temps dans cette zone, notamment pour les enfants sensibles aux piqures.
Il est difficile de mesurer le bénéfice apporté par la fertilisation de l’eau crée par les déjections des poissons, mais nous estimons que cela ajoute à la qualité de l’irrigation.

Historique d’évolution depuis l’émergence

La première contrainte a été de localiser un fournisseur de gambusia affinis, communément appelées Gambusies. Cette variété classée comme invasive est difficile à trouver à la vente aux particuliers en Espagne.

Introduite en 1921 pour le contrôle des moustiques, cette espèce a vite proliféré et a déplacé et impacté de nombreuses espèces autochtones. Son agressivité, sa fécondité élevée et sa grande tolérance à la contamination environnementale font que son contrôle est difficile une fois lâché dans les étangs et les cours d’eau. Dans un système clos comme une citerne ou un réservoir, ces caractéristiques sont au contraire des avantages et les risques de propagation dans le milieu sont limités.
Nous avons finalement trouvé un vendeur de Gambusies et commandé un lot de 100 spécimens.

Dans un deuxième temps nous avons installé une petite pompe dont le but était d’oxygéner l’eau en la faisant circuler. Cette pompe n’est plus en activité aujourd’hui et cela ne semble pas nuire au bien être des poissons.
Pour éviter que les petits débris (brindilles, gravillons, etc.) ne s’introduisent dans les tuyaux d’irrigation nous avons relevé le niveau de la prise d’eau de sortie, laissant ainsi les déchets se déposer dans le fond de la cuve.

Lors de la dernière inspection de la cuve nous avons installé un tas de grosses pierres dans un coin, pour servir de refuge pour les femelles lors de la pondaison des œufs et des alevins.

Avis des usagers / éléments d’acceptation de l’innovation

D’après les retours que nous avons reçus sur les forums de permaculture, cette méthode est utilisée avec plus ou moins de succès à différentes échelles, du simple tonneau de bois au bassin de retenue, et avec différents types de poissons (guppy, méné, Koi, etc.)

Eléments d’appréciation économique de l’innovation

La construction d’une cuve de stockage souterraine peut aller de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros selon sa capacité et les matériaux utilisés.

Le coût d’une centaine de poissons gambusia affinis est d’environ 30€, les prix varient selon les espèces.

Les gouttières et la tuyauterie pour la captation et le transport de l’eau de pluie va de quelques dizaines à quelques centaines d’euros selon la taille de l’installation.

Persepctives d’évolution de l’innovation

Il est difficile d’estimer la population de poissons dans la citerne sans descendre physiquement dedans lorsque celle-ci est presque vide.

Nous nous questionnons sur la nécessité d’installer davantage de pierres et autres débris pouvant servir d’habitat. Les Gambusies pouvant devenir très agressives il y a un risque qu’un petit nombre de poissons dévorent les alevins et mettent en péril la survie de la colonie.

Nous nous questionnons sur la résilience sur le long terme, des périodes de très forte chaleur ou de froid intense peuvant en théorie nuire à la population de poissons, bien que nous n’ayons pas encore observé ce genre de problème. Il est certain qu’une citerne enterrée ou semi-enterrée bénéficie de l’effet de masse thermique du sol et permet de mitiger les écarts de température trop élevés.

Nous n’avons pas de données précises sur le niveau de fertilisation de l’eau de la cuve, des analyses de PH et des ratios NPK devraient être faites.

Une évolution possible pour les réservoirs de très grande taille, notamment employée dans le domaine de l’aquaponie, serait de périodiquement pêcher une partie des poissons pour les consommer et réguler leur population, ou à l’inverse introduire périodiquement de nouveaux alevins.

La réalisation dans le fond du réservoir d’une petite cuvette permettrait également de regrouper les poissons dans un espace restreint lors des vidanges sans pour autant risquer de les perdre. Leur comptage et/ou leur pêche seraient ainsi facilité en vue de maintenir une population adéquate pour le cycle suivant.

Conditions de diffusion de l’innovation et de réplicabilité

A notre connaissance les poissons de type gambusia affinis sont facilement transportables et disponibles partout dans le monde. Il est probable que d’autres espèces soient adaptées à d’autres types de climats (dans le cas présent nous sommes en zone 9b, méditerranéen).

La logique de base est très simple et reproductible à plusieurs échelles. Il s’agit d’introduire un prédateur là où se reproduit une espèce nuisible. Ce prédateur doit pouvoir s’adapter à l’environnement, et dans l’idéal même contribuer à son exploitation par l’homme (ici en modifiant la composition chimique de l’eau pour la rendre bénéfique à l’irrigation), le tout dans un environnement qui ne perturbe pas l’écosystème local.

Un exemple de système analogue est l’introduction de chauve-souris par le placement stratégique de nids dans les zones à forte densité de moustiques, celles-ci produisent du guano (un autre fertilisant naturel très efficace) en grande quantités, qui peut ensuite être utilisé par l’homme.

Risques associés, externalités négatives

Afin de leur garantir un environnement adéquat, l’eau collectée doit être de bonne qualité, sans présence de pesticides ou autres contaminants, et riche en matière organique. Il n’est pas certain que ce système fonctionne dans un environnent très urbanisé ou proche de zones industrielles, bien que les Gambusies soient réputées pour leur résistance aux contaminants.

Il est préférable de ne pas filtrer trop fortement l’arrivée d’eau et au contraire de laisser entrer les petits débris végétaux, mousses, etc. Ce qui permettra également aux insectes de pénétrer dans la citerne, et donc aux moustiques dont les larves serviront de nourriture aux poissons.

Dans ce type de situation, il est nécessaire d’effectuer un nettoyage complet de la cuve environ tous les 5 ans, pour retirer les dépôts qui avec le temps pourraient boucher les canalisations d’irrigation.

Dans le cas où l’on serait amené à vider entièrement la cuve, il faut prêter attention à ne pas relâcher les poissons dans un cours d’eau ni une canalisation publique si ceux-ci sont d’une espèce invasive et non endémique comme les Gambusies. Ceci peut être évité en filtrant l’eau à la sortie lors d’une purge de la cuve (utiliser un filtre très fin, car les alevins peuvent être minuscules). Par précaution il est préférable de purger la cuve dans un champ ou un point de terre meuble éloigné de tout point d’eau (rivière, étang, puit, boûche de canalisation, etc.), l’eau s’infiltrant lentement directement dans le sol, les risques de propagation des poissons dans le milieu naturel sont alors très réduits, voir nuls à condition qu’aucun oiseau ne vienne se servir et potentiellement relâcher les poissons dans une zone humide à proximité.

Dans tous les cas, les poissons de nature invasive ne doivent pas quitter le site, les relâcher dans la nature peut causer des dommages importants à l’environnement et leur propriétaire risque d’encourir des sanctions. Il est donc de la responsabilité de l’usager de tout mettre en œuvre pour ne pas contribuer à la diffusion de ses poissons dans l’ecosysteme.

Ressources additionnelles

World Health Organization. Regional Office for the Eastern Mediterranean. (‎2003)‎. Use of fish for mosquito control

H. Drardja-Beldi (1993), Contribution à L’étude de Gambusia affinis (Téléostéen, Poeciliidae), Poisson Prédateur des Larves de Moustiques, Croissance des Alevins, Étude du Cycle Sexuel et Corrélations Métapoliques, Thèse de doctorat, université d’Annaba, Algérie

OPIE (2002) Elles aussi, elles aiment les insectes … Les Gambusies, revue Insectes 14, no 125, sur le site de l’INRA (PDF, 3 pages)

Rana W. El-Sabaawi, Therese C. Frauendorf, Piata S. Marques, Richard A. Mackenzie, Luisa R. Manna, Rosana Mazzoni, Dawn A. T. Phillip, Misha L. Warbanski, Eugenia Zandonà (2016) Biodiversity and ecosystem risks arising from using guppies to control mosquitoes ; Biology Letters (Royal Society) ; 25 octobre 2016 ; DOI: 10.1098/rsbl.2016.0590

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