Technique / technologique

Pompage solaire pour les petits exploitants

Terrain de l’innovation

Afrique de l’Est et de l’Ouest

Résumé

Avec la baisse du coût des panneaux photovoltaïques le pompage solaire devient une solution prometteuse pour la petite irrigation privée. Des pompes solaires portables et faciles à installer  pour l’irrigation de surfaces inférieures à 0,5 ha, émergent sur le marché Est et Ouest africain : SF2 & SE1 (Futurepump), SP2-100 (Lorentz), Sunlight (Ennos/Jain), Rainmaker (Sunculture).

Pour de nombreux petits exploitants le pompage solaire est la seule option efficace lorsque l’exhaure est manuelle ou la profondeur de l’eau supérieure à 10 m .

La finance digitale PAYGO (crédit-bail) offert par les fournisseurs et le paiement mobile contribuent au financement de l’achat de la pompe solaire dont le coût reste hors de portée des petits exploitants.  La subvention associée au PAYGO semble inévitable au développement durable de la chaine d’approvisionnement, et  l’absence d’offre de crédit du secteur de la microfinance et des banques

Emergence de l’innovation

FuturePump (en partenariat avec PRACTICA) et Sunculture sont les pionniers d’un petit nombre d’opérateurs privés engagés dans l’offre de service et la vente de pompes solaires aux petits agriculteurs du continent Africain. En Afrique subsaharienne ils sont au moins 5 millions à pratiquer l’irrigation dont la moitié avec des techniques d’exhaure rudimentaires (seau). La conception et l’offre de pompes solaires spécifiques au segment d’exploitations inférieures à 0,5ha répond à une carence du marché, alors que le coût des panneaux solaires a été divisé par 10 au cours de ces dix dernières années. L’émergence de cette innovation répond également au fait que :

– Aucune solution de pompage solaire pour l’irrigation n’était viable pour les petits producteurs;

– Les capacités locales et les chaines d’approvisionnement  sont limitées ;

– Il y a une faible connaissance du marché et les coûts d’achat sont prohibitifs

Solution(s) apportée(s) par l’innovation

Profil type d’exploitants agricoles visés par l’innovation :

– Surface cultivée inférieure à 0,5ha ;

– Profondeur de l’eau inférieure à 12 m ;

– Pratique des cultures irriguées de contre saison à l’échelle des faibles moyens dont ils disposent ;

– La majorité pratique l’exhaure/irrigation manuelle (seau) ;

– Capacités très faible de financement et d’accès au crédit ;

– Production vendue sur le marché ;

– L’agriculture est la principale source de revenue.

Effets directs de l’innovation au niveau de l’exploitation :

– Augmentation du revenu et amélioration des conditions de vie ;

– Sécurisation de la production en saison sèche (deux campagnes agricoles en contre saison) si la source en eau est pérenne ;

– Diminution de la pénibilité de l’exhaure de l’eau ;

– Extension de la superficie irriguée lorsque l’exhaure était auparavant manuelle ;

– Profondeur de pompage supérieure à 10 m pour les pompes submersibles solaires ;

– Retour sur investissement après 3 à 4 campagnes (2 à 3 années) selon les cultures pratiquées et la surface irriguée ;

– Aucune charge de production de l’eau (carburant et lubrifiant).

Effets indirects de l’innovation :

– Réduction des gaz à effet de serre ;

– Création d’activité économique et d’emploi ;

– Augmentation des superficies irriguées et de la production agricole nationale en limitant les effets du changement climatique ;

– Diminution de l’insécurité alimentaire face aux aléas climatiques

Historique d’évolution depuis l’émergence

Dès 2010 la baisse du coût des panneaux solaires et le développement croissant en volume du segment de petits exploitants ont conduit à la conception et aux premiers tests de pompes solaires destinées à ce marché. Lors de la COP-21 (2015) l’objectif des états à limiter le réchauffement climatique et la mobilisation de financements qui s’en suivra marque le début de la pénétration du marché du pompage solaire pour l’irrigation.

La conception, la production et la commercialisation d’une pompe est un processus itératif qui se nourrit des enseignements du terrain et de la réponse faite par les utilisateurs de la pompe. Plusieurs enseignements ont été tirés au cours de ces 10 dernières années.

Conception :

– la pompe solaire doit être portable, facile d’utilisation et d’installation (plug & pump). Au-delà de 240 watt de panneaux le poids et l’encombrement devient difficile. Le vol de panneaux solaires est une réalité ;

– le pompage se fait exclusivement au fil du soleil entre 6 à 8 h/jour sans batterie. Le stockage d’énergie est coûteux, sensible aux pannes et les capacités de recyclage des batteries usagées inexistantes ;

– le volume de pompage journalier doit être compris entre 6 et 18 m3/jour avec une profondeur de l’eau inférieure à 15m pour garantir la portabilité. Dans ces conditions la surface irrigable varie de 0,1 à 0,5 ha au maximum ;

– la capacité des puits du segment de marché le plus important dépasse rarement 1m3/h, par conséquent il n’est pas nécessaire d’avoir un débit de pompe supérieur à 3 m3/h. Le débit d’une pompe diminue avec la profondeur de l’eau à puissance de panneau constante ;

– les pompes à piston et hélicoïdale sont les 2 modèles les mieux appropriés. Elles sont moins sensibles à la qualité de l’eau (sable, boue) et elles ont un rendement plus élevé que les pompes centrifuges pour des débits inférieurs à 3m3/h.

 

Production, commercialisation et maintenance :

– Les pompes solaires sont fabriquées en Asie (Chine et Inde) et en Europe. Une expérience de production en Afrique (Burkina)  a démontré la complexité de mise en place d’une chaine de fourniture qui s’est avérée être non compétitive aux pompes importées d’Asie ;

– Futurepump et Lorentz  ont un réseau de distributeurs dans de nombreux pays d’Afrique tout comme d’autres fabricants et fournisseurs émergents. Le partenariat récent entre Sunculture/EDF/BBox vise la vente de 3000 pompes solaires pour l’irrigation en Côte d’Ivoire, au Ghana et Togo ;

– Certaines pompes sont équipées d’un dispositif de suivi à distance du fonctionnement afin de faciliter la maintenance et les interventions curatives. En zone rurale ou la couverture téléphonique est souvent mauvaise la communication avec la pompe est difficile voir impossible ;

– Futurepump offre à travers ses distributeurs une garantie de 5 ans sur les pièces défectueuses ou celles à l’origine de panne. La mise en application de la garantie est fortement dépendante de la réactivité du distributeur et du stock de pièces détachées

Finance :

– Le coût initial de la pompe solaire est le principal frein à son achat par un exploitant malgré tous les efforts entrepris pour réduire le coût dès la conception : entre 500 et 1500 euros, un écart important selon les pays ;

– Le secteur finance rurale est peu présent et n’offre pas de prêt ou de produits financiers à cette catégorie de producteur ;

 – Sunculture et d’autres fournisseurs soutenus par des projets (SISAM mis en œuvre par ESF au Bénin , Burkina, Togo) ou des investisseurs offrent la possibilité à leur client de payer la pompe en plusieurs échéances sur une durée de 12 à 36 mois, sur le principe du PAYGO assimilé à un crédit-bail (leasing). Le remboursement se fait par paiement mobile. En cas de non-paiement le fournisseur peu bloquer la pompe à distance. Ce service dépend également de la couverture téléphonique mobile inégale d’un pays à l’autre. Le fournisseur à tout intérêt d’assurer un service après-vente de qualité pour recouvrir le coût complet de la pompe.

– La subvention du pompage solaire et la mobilisation de capital à risque par le fournisseur sont inévitables afin d’accélérer l’adoption et la diffusion de l’irrigation solaire

Avis des usagers / éléments d’acceptation de l’innovation

Le marché du pompage solaire est en plein croissance dans toute l’Afrique subsaharienne. Par exemple depuis 2017, Futurepump a commercialisé plus de 8000 pompes solaires de surface

 Plusieurs éléments clés d’acceptation sont évoqués par les petits exploitants :

Le coût est le principal frein à l’achat mais les facilités de paiement échelonnées (PAYGO) accordées par certains fournisseurs semblent être un bon compromis accélérant la diffusion ;

– Absence de coût de fonctionnement étant donné que l’eau est gratuite ;

– Utilisation simple de la pompe sur le modèle, plug & pump ;

– Les performances de la pompe (débit, pression, temps d’irrigation) doivent améliorer la situation antérieure à l’adoption. Les motopompes ont un débit 5 fois supérieures aux pompes solaires ciblées et leurs utilisateurs peu enclins à changer de pratique

Eléments d’appréciation économique de l’innovation

– Le coût de la gamme de pompe solaire (pompe <1 kW + contrôleur + générateur solaire) produisant moins de 20 m3/jour à une hauteur (HMT) inférieure à 20 m est compris entre 500 et 3000 euros pour une superficie irrigable entre 750 m2  et 5000 m2. Les écarts sont importants entre les pays et les marques de pompe. Au Burkina Faso une installation solaire de 20 m3/jour (irrigation 3000 m2) à 20 m de HMT coûte 1435 euros.

– Au Sénégal la marge nette d’une campagne maraichère (4 mois) sur une superficie de 3000 m2 est d’environ 2300 euros pour un investissement initial total de 2600 euros dont 1300 euros de pompage solaire. La rentabilité financière ne fait aucun doute mais le résultat peut varier d’une situation à l’autre en raison du risque lié au caractère de l’activité maraichère.

– Lorsque l’irrigation se fait avec une motopompe le coût de production de l’eau (carburant, lubrifiant, maintenance) représente entre 40 et 60% des charges totale, soit +/- 300 euros/campagne pour une superficie de 3000 m2. Ce montant est de zéro pour le pompage solaire. Dans le cas d’une profondeur supérieure à 10 m le pompage électrique est la seule option (solaire ou avec groupe électrogène)

 – La principale problématique n’est pas la rentabilité de l’irrigation solaire mais la capacité du producteur à mobiliser l’investissement initial dans le cas d’une nouvelle installation, ou la question du financement du remplacement des installations

Persepctives d’évolution de l’innovation

Dans les 10 prochaines années on peut s’attendre à une baisse du prix des pompes solaires en raison des investissements considérables de la Chine en faveur des énergies vertes et la saturation de son marché intérieur qui aura pour conséquence une baisse importante du coût sur le marché international.  Sur la même période le prix des batteries au lithium devrait considérablement baisser poussée par la demande croissante du marché mondial des voitures électriques (baisse de 88% depuis 2010) qui connaitra une accélération importante avec les mesures incitatives récentes au soutien de l’industrie et à l’achat. Aujourd’hui trop cher pour l’irrigation le stockage d’énergie pourrait s’avérer dans un avenir proche une solution hybride avec le pompage au fil du soleil, une veille technologique doit être maintenue ouvrant de nouvelles perspectives

– En l’absence de mesures incitatives à l’achat (subvention, crédit-bail, produit financier spécifique) la crainte est de voir l’accès aux solutions d’irrigation solaire réduit à une faible minorité de producteurs ou restreint à un segment de clientèle capable de mobiliser suffisamment de fonds

– Environ 2/3 des clients de Futurepump au Kenya (étude sur un échantillon de 400 agriculteurs) pratiquaient l’irrigation manuellement avant l’achat d’une pompe solaire. La limitation des gaz à effet de serre par le remplacement des motopompes (carburant) en service par le pompage solaire est difficile à atteindre car n’entre pas dans la stratégie de production des petits exploitants. Principales raisons invoquées des performances et une souplesse d’utilisation qui n’égale pas les motopompes ou oblige un investissement supplémentaire dans des techniques économes en eau (goutte à goutte, bande aspersion)

– En Afrique subsaharienne la majorité des puits existants ont une profondeur inférieure à 15 m. Pomper plus profond exige un investissement supplémentaire avec la réalisation de forage motorisé inaccessible aux petits producteurs. Néanmoins la réalisation de forage manuel à faible coût combiné au pompage solaire à faible profondeur ouvre des perspectives intéressantes à l’accroissement rapide des superficies irriguées pour les petits exploitants

– La mobilisation de capital auprès d’investisseurs par les fournisseurs ayant recours au PAYGO est complexe et les candidats y ayant accès peu nombreux. Le risque est de voir un monopole s’établir sur le marché drainant dans sa ligne les appuis financiers offerts par les donateurs et les gouvernements

– On observe une offre croissante de pompe solaire en provenance d’Asie sur le marché Africain auprès de fournisseurs « locaux ou travaillant dans l’informel » d’un coût très attractif et d’une qualité quelque fois équivalente au lead pris par les fournisseurs reconnus. Cette tendance va s’accélérer avec la segmentation du marché  qui commence à s’organiser

Conditions de diffusion de l’innovation et de réplicabilité

Le segment de petits exploitants (superficie <0,5ha) classifiés comme vulnérable est le plus important en nombre et favorable à la création de chaines durables de service et d’approvisionnement de solutions d’irrigation solaire, c’est ce segment qui doit être soutenu en priorité qui représente probablement plus de 80% des exploitants du monde agricole

– Les ressources en eau de surface facilement mobilisables sont en général largement exploitées avec des motopompes. Lorsque la profondeur de l’eau progresse pour atteindre 10 m la motopompe laisse la place au pompage immergé solaire. Le pompage solaire à profondeur intermédiaire (inférieur à 12 m) offre des perspectives importantes pour l’augmentation des surfaces irriguées jusqu’alors inaccessibles ou limitées par l’exhaure manuelle.

– La rentabilité de l’irrigation solaire repose sur la pratique d’une à deux campagnes de cultures de contre saison à haute valeur ajoutée (oignon, piment, poivron…). Il est probable compte tenu de la croissance démographique et de la demande croissante en produits agricoles que le marché africain soit en capacité d’absorber la production de nouvelles surfaces irriguées. Cependant, les petits exploitants dont le mode de production est souvent associé à une agriculture de subsistance, alors que la majorité de leur production est vendue sur le marché, doivent être intégrés dans les programmes de soutien aux chaines de valeurs des produits agricoles.

Des efforts considérables doivent être engagés dans la formation et l’information, y compris des campagnes de marketing et de communication de masse, de l’ensemble de l’écosystème d’acteurs sur la thématique de l’irrigation solaire : gouvernements, bailleurs de fonds, services techniques, fournisseurs, bureaux d’étude, prestataires de services, associations professionnelles, banques, associations et faitières d’agriculteurs, agriculteurs

– Pour le segment de petits exploitants, le pompage solaire doit être subventionné  sur une longue période, à un taux équivalent à la différence de coût entre une motopompe et celui d’une pompe solaire, pour enclencher un changement de comportement durable au sein de l’écosystème de la chaine d’acteurs.  Ce soutien financier doit être adossé au crédit-bail (PAYGO ou leasing) proposé

Risques associés, externalités négatives

– Le pompage électrique alimenté par solaire tout comme par générateur électrique ou réseau ouvre la voie à la mobilisation et à l’exploitation des eaux souterraines avec localement un risque de surexploitation des aquifères. La réalisation de nouveaux forages destinés à l’irrigation doit être suivi. Il ne s’agit pas de restreindre mais de suivre l’évolution spatiale et numéraire des forages : où ? quel débit ? quel usage ? PRACTICA a développé une application digitale sur smartphone qui peut être utilisée par les entreprises de forage pour la collecte des données. L’accès aux informations se fait par une plateforme web.

– Les politiques d’incitations financières accordées à la chaine d’acteurs ou aux agriculteurs sont un levier majeur de l’accélération du développement du pompage solaire, mais également un moyen de réguler l’expansion des solutions d’irrigation solaires.  Les facilités financières doivent cibler les segments de producteurs et les territoires ou les effets produits seront durables. Là où la ressource en eau est réputée comme fragile les taux de subvention seront nuls ou adaptés à des solutions ne présentant pas de menaces :  par exemple subvention plafond de la profondeur de l’ouvrage de captage et de la puissance du générateur solaire

Ressources additionnelles

– Solutions d’irrigation solaire à des profondeurs intermédiaires pour les petits producteurs de la région de Niayes (Sénégal) – Practica Foundation, Banque Mondiale, Ministère de l’Économie et de l’Industrie de l’état d’Israël – 2019

Vidéo , Rapport

– Etude de marché pour les solutions d’irrigation solaire SISAM – Practica Foundation, Electricien Sans Frontières,  Agence Française de Développement, Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie – 2019

Rapport

– Présentation projet SISAM – 2020

Vidéo

– Tout ce qu’il faut savoir avant d’acheter une pompe pour l’irrigation solaire – Practica Foundation, Aqua for All, Kit, Mete Meta, SNV, Ambassade des Pays-Bas – 2019

Guide

– 2019 Buyer’s guide for solar water pumps – Ukaid, Power Africa – 2019

Guide

– Application smartphone – Boite à outil du foreur – The driller’s Toolbox

– Application smartphone – Sélection de pompe solaire pour l’irrigation – Solar irrigation pump selector

Futurepump – Vidéo

Sunculture – Vidéo

Discussion

2 réponses
  1. Trosselo
    Trosselo dit :

    Notre association à installé 50 pompes solaires au nord Sénégal région de Rao Saint-Louis en 2020. Nous avons pour projet d’en installer 40 supplémentaires cette fin d’année 2023. Le GIE local souhaite aller jusqu’à 500 avec la participation des agro-éleveurs de 500 euros par installation.
    Nous recherchons la complémentarité financière sous forme de dons financiers, 1800 euros par installation ou par matériel pompes Lorenzt, panneaux photovoltaiques de bonne puissance., jusqu’à 400 watts.

    Jean-Pierre Trossélo
    Président Association des Amis du village de Guélack.

    Répondre
    • Oumar
      Oumar dit :

      Salut Jean-Pierre,
      Merci pour ton commentaire. Possible d’avoir tes contacts, mail si possible afin de discuter

      Répondre

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